Douleurs chroniques non cancéreuses : les opioïdes ne font pas mieux que les non opioïdes

À retenir
Chez les patients souffrant de douleurs modérées à sévères (lombalgies ou douleurs arthrosiques de la hanche ou du genoux), les opioïdes n’apparaissent pas supérieurs aux antalgiques non opioïdes pour améliorer l’impact fonctionnel ou l’intensité de la douleur à 12 mois. Les traitements non opioïdes semblent même être associés à une moindre intensité de la douleur, mais la signification clinique de cette amélioration n’est pas clairement établie. Les opioïdes sont de plus associés à davantage d’effets indésirables liés au traitement que les non opioïdes. Ces résultats ne soutiennent donc pas leur utilisation dans cette indication.

Pourquoi est-ce important ?
En raison du risque d’effet indésirable grave et d’une insuffisance de preuve quant aux bénéfices qu’ils sont susceptibles d’apporter, les opioïdes ne sont actuellement pas recommandés en première intention dans le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses (1). L’étude américaine SPACE vient de comparer leur efficacité à celle d’un traitement non opioïde chez des patients en soins primaires souffrant de douleurs chroniques d’intensité modérée à sévère réfractaires au traitement antalgique.

Pas de différence en termes d’impact fonctionnel de la douleur
L’étude a inclus 240 patients d’âge moyen 58,3 ans, dont 13% étaient des femmes. Tous présentaient des douleurs chroniques modérées à sévères du dos, ou des douleurs d’arthrose de la hanche ou du genoux ayant résisté à un premier traitement antalgique. Ils ont été randomisés en 2 groupes pour recevoir un traitement opioïde ou non opioïde (voir méthodologie ci-dessous).

Il n’a pas été observé de différence significative entre les deux groupes sur l’impact fonctionnel de la douleur, mesuré par l’échelle Brief Pain Inventory interference scale (BPI, 0 à 10) version courte. Ainsi, les scores BPI moyens d’interférence de la douleur sur 12 mois ont été de 3,4 dans le groupe opioïde et de 3,3 dans le groupe non opioïde.

Une moindre intensité de la douleur avec les non opioïdes
Concernant l’intensité de la douleur, les scores BPI moyens ont été améliorés de façon significative dans le groupe non opioïde sur 12 mois. Et en fin de suivi, ces scores étaient de 4,0 dans le groupe opioïde contre 3,5 dans l’autre groupe, soit une différence de 0,5 point inférieure au seuil de significativité clinique établi à 1,0 point.
Par ailleurs, les effets indésirables (EI) liés au traitement ont été plus fréquents dans le groupe opioïdes, avec un nombre moyen d’EI à 12 mois de 1,8 dans le groupe opioïde et de 0,9 dans l’autre groupe.

Méthodologie
Les patients ont été recrutés auprès de 62 médecins pratiquant dans des cliniques affiliées au système de soins des anciens combattants américains, puis ils ont été randomisés en 2 groupes pour recevoir un traitement opioïde ou non opioïde.
Les patients du groupe « opioïde » démarraient un traitement opioïde en 3 phases : opioïde à libération immédiate (morphine, hydrocodone/paracétamol ou oxycodone), morphine à libération prolongée ou oxycodone, et fentanyl transdermique. Les opioïdes étaient titrés à un dosage maximum de 100 équivalents morphine.
Les patients du groupe « non-opioïde » recevaient un traitement non opioïde également en 3 phases : paracétamol ou AINS, traitement adjuvant par voir orale (nortriptyline, amitriptyline, gabapentine) ou topique (capsaïcine, lidocaïne), traitement soumis à autorisation (prégabaline, duloxétine) et tramadol.
Les traitements étaient ajustés en fonction de la réponse et des objectifs patients.

Limitations
La puissance de l’essai était insuffisante pour mesurer les taux de décès, les abus ou les EI graves associés aux opioïdes prescrits. Le critère primaire (score BPI moyen d’interférence de la douleur sur 12 mois) reposait sur la déclaration des patients avec une possible introduction de biais. Enfin, la population de l’étude était issue des vétérans américains et ne reflète donc pas la population générale, notamment dans le sexe ratio.

Krebs EE, Gravely A, Nugent S, Jensen AC, DeRonne B, Goldsmith ES, Kroenke K, Bair MJ, Noorbaloochi S. Effect of Opioid vs Nonopioid Medications on Pain-Related Function in Patients With Chronic Back Pain or Hip or Knee Osteoarthritis Pain: The SPACE Randomized Clinical Trial. JAMA. 2018;319(9):872-882. doi: 10.1001/jama.2018.0899. PMID: 29509867